vendredi 8 février 2019

Un calendrier en dodécaèdre rhombique (3)

Nous continuons l'exploration du dodécaèdre rhombique, qui peut être construit en origami modulaire avec un modèle de Nick Robinson . Dans la première partie de cette exploration, nous avions analysé pourquoi le pliage des douze modules dans des feuilles de format A4 donnait bien le polyèdre souhaité. Dans la seconde partie, nous avions vu comment ce dodécaèdre pouvait être construit à partir de deux cubes.



Nous allons à présent nous intéresser au coloriage des faces de ce polyèdre : combien de couleurs sont nécessaires pour colorier les faces du polyèdre de manière à ce que deux faces adjacentes n'aient jamais la même couleur ? Autrement dit, si je veux construire le dodécaèdre rhombique en origami modulaire avec douze modules, combien de couleurs de feuilles de papier dois-je prendre au minimum pour que je puisse assembler le dodécaèdre rhombique de manière à ce que deux faces adjacentes n'aient jamais la même couleur ?

Pliage

Le pliage du dodécaèdre est réalisé à partir de douze modules pliés dans des feuilles de format A4 (ou A5, ...).

Les instructions de pliage originales du dodécaèdre rhombique de Nick Robinson sont disponibles sur son site.

Sur le site de Ole Arntzen, on peut télécharger les douze pages à imprimer pour plier un calendrier en dodécaèdre rhombique dans différentes langues et pour différentes années (on peut également télécharger le patron d'un calendrier en forme de dodécaèdre régulier).

Exploration mathématique : Coloriage du dodécaèdre rhombique


Si on veut construire le dodécaèdre rhombique avec des modules de couleurs variées, il semble naturel de souhaiter que deux faces partageant une même arête soient toujours de couleurs différentes. Avec 12 couleurs, c'est évidemment possible, mais peut-on y arriver en utilisant seulement 3 ou 4 couleurs ? (On voit tout de suite que ça ne peut pas être possible avec seulement deux couleurs, car en certains sommets, trois faces exactement se rencontrent.)

On peut procéder par essais et erreurs en essayant de colorier directement le polyèdre ou en essayant d'assembler des modules de couleurs différentes. Par commodité, on peut également vouloir travailler à plat, sur une feuille de papier. On travaille alors à l'aide d'un graphe.

Construction du graphe planaire du dodécaèdre rhombique

Pour construire ce qu'on appelle le graphe planaire d'un polyèdre, on ouvre mentalement le polyèdre pour le mettre à plat :
  • on imagine le polyèdre élastique et déformable, comme si ses arêtes étaient des tiges flexibles en une matière élastique et les faces en pellicule de caoutchouc comme un ballon de baudruche,
  • on imagine ensuite que, le polyèdre étant déposé sur une table, on perce une des faces sur le dessus du polyèdre,
  • on imagine enfin qu'on vient étirer les arêtes de la face percée pour tout amener à plat sur la table.
Pour le dodécaèdre rhombique, on obtient ainsi une figure composée de 12 régions : 11 en forme de quadrilatères, correspondant aux 11 faces du dodécaèdre que nous n'avons pas percées, et et la région formant le pourtour, correspondant à la face qui a été percée. Ce ne sont plus les propriétés géométriques mais bien les propriétés topologiques de la figure qui nous intéresse. Deux régions adjacentes sur la figure correspondent à des faces adjacentes dans le dodécaèdre. Si on considère qu'il y a des nœuds, correspondant aux sommets du polyèdre, aux points d'intersections des arêtes, on est en présence d'un graphe planaire.

Voici une représentation possible du graphe planaire du dodécaèdre rhombique, il y en a d'autres. Nous avons indiqué un numéro pour chaque région, qui correspond en fait simplement au numéro du mois du calendrier que nous avons construit.

Coloriage des régions du graphe planaire du dodécaèdre rhombique

Colorier les faces d'un polyèdre revient donc à colorier un graphe planaire. Et colorier un graphe planaire, ce n'est rien d'autre que colorier une carte dont toutes les régions sont en un seul morceau (on parle de régions "connexes").

Le fameux théorème des quatre couleurs (conjecturé en 1852 mais qui n'a été démontré qu'en 1976 et en nécessitant l'utilisation de l'ordinateur pour l'étude des près de 1500 cas clés) nous assure que toute carte dont les régions sont d'un seul morceau peut être coloriée en n'utilisant que quatre couleurs de manière à ce que deux régions adjacentes soient dans des couleurs différentes.

Nous sommes donc certains qu'il est possible de trouver un coloriage du dodécaèdre rhombique (mais en fait de tout polyèdre "sans trou") avec quatre couleurs de sorte que deux faces adjacentes ne soient jamais de la même couleur.

Mais peut-être est-ce possible avec seulement trois couleurs ? Pour le savoir, rien de tel que d'essayer.

Prenons trois régions adjacentes deux à deux, comme les régions 02, 04 et 11. Elles doivent forcément être coloriées chacune dans une couleur, comme sur la figure ci-dessous.
Si une autre région avait été adjacente à deux des régions déjà coloriées, sa couleur aurait été déterminée et on aurait pu continuer le coloriage. Ce n'est pas le cas. Considérons donc une région adjacente à une région coloriée, par exemple la région 07 adjacente à la région orange 04. La région 07 ne peut donc pas être orange, mais bien rouge ou jaune.
On est donc face à un choix.

Choix 1 : Colorions la région 07 en jaune.

La région 12, adjacente à la 04 orange et la 07 jaune doit forcément être rouge. Ensuite, la région 10, adjacente à la 11 jaune et la 12 rouge doit être orange. On continue ainsi de suite et on réalise que le coloriage de toutes les régions du graphe peut être réalisé sans devoir faire de nouveau choix.


Il est donc possible de colorier le graphe planaire, et donc le dodécaèdre rhombique, avec seulement trois couleurs ! Aurait-on pu trouver un autre coloriage avec seulement trois couleurs ? Analysons l'autre choix que nous aurions pu effectuer.

Choix 2 : Colorions la région 07 en rouge.
La région  12, adjacente à la 04 orange et la 07 rouge doit forcément être jaune. Mais ensuite, on est à nouveau face à un choix, vu que la région 10 est adjacente à deux régions de la même couleur... sa couleur n'est donc pas déterminée, elle peut être orange ou rouge.

Choix 2a : Colorions la région 10 en rouge.
Alors, forcément, les régions 08 et 01 doivent être oranges, car elle sont adjacentes à 10 rouge et 11 jaune pour l'une et  10 rouge et 12 jaune pour l'autre. Ensuite, la 05 doit être jaune, car adjacente à la 08 orange et la 02 rouge. On continue ainsi de suite : le coloriage de toutes les régions du graphe peut être réalisé sans devoir faire de nouveau choix. 
Ce coloriage peut sembler à priori différent de celui qu'on avait trouvé avec le choix 1. Mais en fait, c'est un coloriage équivalent : il suffit de faire tourner la figure et d'échanger les couleurs orange et jaune pour obtenir le même dessin.

Choix 2b : Colorions la région 10 en orange.

Les régions 08 et 01 doivent être rouges, car elle sont toutes deux adjacentes à une région orange et une région jaune. Mais on est de nouveau bloqué pour continuer le coloriage : les quatre régions restantes sont toutes adjacentes seulement à des régions rouges à cette étape.

Deux choix sont alors possibles, qui donnent les deux coloriages suivants.
Le coloriage ci-dessus à gauche est clairement non équivalent à celui de droite :
  • pour le coloriage de gauche, chaque fois que 4 régions se rencontrent en un même nœud (par exemple les régions 04, 12, 10 et 11, mais aussi les régions 08, 10, 01 et 03), il n'y a que deux couleurs, disposées en face à face,
  • pour le coloriage de droite, dans certains cas, il y a deux couleurs pour quatre régions se rencontrant en un même nœud (par exemple les régions 04, 12, 10 et 11), mais il y en a trois pour d'autres (par exemple les régions 04, 02, 09 et 07).
Le coloriage de gauche est clairement différent de celui qu'on avait trouvé pour le choix, pour la même raison :
  • pour le coloriage du choix 1, dans certains cas, il y a deux couleurs pour quatre régions se rencontrant en un même nœud (par exemple les régions 02, 11, 08 et 05), mais il y en a trois pour d'autres (par exemple les régions 04, 02, 09 et 07).
En fait, le coloriage ci-dessus à droite et le coloriage du choix 1 sont équivalents. Si on reprend le coloriage du choix 1, qu'on inverse les couleurs orange et rouge et qu'on permute les numéros des régions 1 et 3, 2 et 4, 5 et 12, 7 et 9 et enfin 8 et 10, on obtient un graphe avec les mêmes propriétés d'incidences de couleurs que celui à droite ci-dessus.

Les deux graphes coloriés correspondent au même polyèdre mais pour lequel on n'aurait pas percé la même face pour la mise à plat.

Coloriage des nœuds du graphe dual

Plutôt que colorier les régions du graphe du dodécaèdre rhombique, on aurait pu travailler avec le graphe dual de celui-ci. Le graphe dual se construit à partir du graphe du dodécaèdre rhombique, ou directement à partir du polyèdre, en considérant un nœud pour chacune des régions du graphe de base, ou de manière équivalente pour chaque face du polyèdre, et une arête entre deux nœuds quand les régions du graphe de base correspondantes sont adjacentes, ou de manière équivalente, quand les faces du polyèdres sont adjacentes.


Le problème revient alors à colorier les nœuds du graphe dual de manière à ce que deux nœuds reliés par une arête ne soient pas de même couleur. Les deux coloriages des régions du graphe du dodécaèdre rhombique trouvés plus haut correspondent aux coloriages suivants des nœuds du graphe dual.


 

Polyèdre dual du dodécaèdre rhombique

En regardant de plus près le graphe dual du graphe du dodécaèdre rhombique, on réaliser que les régions de celui-ci sont délimitées par trois ou quatre arêtes. Certains reconnaitront dans ce graphe dual une structure qui leur fera penser au cuboctaèdre, polyèdre semi-régulier formé de six carrés et huit triangles équilatéraux.

Et en effet, le dodécaèdre rhombique est le polyèdre dual du cuboctaèdre. Cela veut dire que les sommets du dodécaèdre rhombique sont en correspondance avec les faces du cuboctaèdre, en respectant les propriétés d'adjacence, et inversément. Le cuboctaèdre étant un solide d'Archimède, le dodécaèdre rhombique est donc un solide de Catalan.

En guise de conclusion

Une fois l'un ou l'autre coloriage trouvé, à partir du graphe planaire du dodécaèdre rhombique ou à partir de son graphe dual, on peut s'en servir pour assembler les modules du dodécaèdre rhombique de manière à ce que deux faces adjacentes soient toujours de couleurs différentes. On aurait probablement été plus vite par essais-erreurs en assemblant directement les modules... mais le passage par les graphes nous a permis d'aborder le théorème des quatre couleurs (et donc d'apprendre que tout polyèdre sans trou peut être colorié sans devoir prendre plus de quatre couleurs) et le lien entre un graphe et son graphe dual, qui peut être mis en parallèle avec le lien entre un polyèdre et son polyèdre dual.

Références

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